Québec mise sur la censure d’internet : que contient le projet de loi 74 et comment peut-on l’éliminer?
Un cas flagrant de censure d’internet pour le profit.
Le gouvernement du Québec vient d’accomplir un exploit : tout le monde, que ce soient les défenseurs de la liberté sur Internet, les fournisseurs d’accès, les opérateurs de sites Web et même le gouvernement fédéral, n’arrivent pas à en croire leurs yeux.
Comment ont-ils fait? En adoptant le projet de loi 74, Loi concernant principalement la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 26 mars 2015. Ce projet de loi contient, comme son nom l’indique, principalement des clauses budgétaires, mais aussi d’autres éléments qui permettraient au gouvernement du Québec de décider quels sites Web les Québécois seraient autorisés à visiter.
Mais en quoi consiste exactement ce projet de loi 74? Et quelle menace fait-il planer sur la neutralité d’Internet, la liberté d’expression et la longue tradition canadienne de défense de l’Internet ouvert? Allons voir!
En quoi consiste le projet de loi 74?
Proposé pour la première fois en mars 2015, le projet de loi 74 a été adopté et est entré en vigueur le 18 mai 2016.
La section qui nous préoccupe donne au gouvernement du Québec le pouvoir de forcer les fournisseurs d’accès à bloquer les sites de jeu autres que ceux du gouvernement provincial. Ça signifie que désormais, la Régie des alcools, loteries et courses de la province devient seule arbitre capable de bloquer des sites Web et a la responsabilité de dresser une liste de sites bannis qu’elle transmettra aux fournisseurs d’accès, qui auront 30 jours pour mettre en place les blocages requis.
Le blocage en masse d’une liste de sites Web est plus vite dit que fait. Déjà, certains fournisseurs d’accès dénoncent cette loi qu’ils considèrent « extrêmement compliquée et coûteuse », selon le chef des affaires juridiques et règlementaires de TekSavvy, Bram Abramson. Les spécialistes sont d’avis que cette loi est susceptible d’être contestée devant les tribunaux par les fournisseurs d’accès, qui en vertu de cette loi, s’exposent à des amendes de 100 000 $ dès la première offense s’ils échouent à bloquer les sites Web consignés par la Régie des alcools, loteries et courses, et ces amendes deviennent de plus en plus lourdes à chaque récidive.
Cette loi crée aussi de graves problèmes aux opérateurs de réseaux mobiles, car plusieurs de ces fournisseurs d’accès tenus de bloquer des sites ont une envergure nationale ou tout au moins trans-provinciale, ce qui fait du blocage d’accès à une région géographique particulière de leur réseau de service une tâche herculéenne et onéreuse, qui pourrait les forcer à repenser entièrement le fonctionnement de leur réseau.
Selon le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique, Michael Geist, ce serait la première fois qu’au Canada, un gouvernement exige le blocage de sites Web. En fait, l’adoption de cette loi de blocage de sites Web irait à l’encontre de la longue histoire nationale de défense de l’ouverture d’Internet, marquée par le renoncement aux règles de censure de sites Web, la résistance à de telles dispositions dans l’accord du Partenariat trans-Pacifique et l’opposition au système d’avis-sur-avis pour le respect des droits d’auteur, qui vise à informer les Canadiens au sujet du piratage afin d’éviter les retraits de contenu, qui font l’objet d’inévitables abus.
À quoi sert le projet de loi 74?
Pourquoi le gouvernement du Québec se croit-il justifié d’agir de la sorte?
Le gouvernement croit que cette loi est nécessaire afin de protéger les consommateurs. Selon un reportage de la CBC :
Le ministre des Finances de la province, Carlos Leitão, affirme que ce projet de loi est nécessaire afin de protéger la santé et la sécurité des Québécois parce que les sites illégaux ne suivent pas les même règles de « jeu responsable » que les sites gouvernementaux et posent « un risque pour la population ».
Ces affirmations font fi de la recommandation de son propre groupe de travail qui mentionne que le meilleur moyen de protéger le public consiste à mettre en place un système qui exige de tous les sites de jeu qu’ils obtiennent un permis. En fait, le groupe de travail en question s’est explicitement opposé au blocage des sites Web.
Mais le plus troublant dans toute cette affaire, c’est la transparence avec laquelle le gouvernement du Québec explique comment cette initiative génèrera des revenus pour la province (sans doute la raison pour laquelle cette mesure a été enfouie dans un projet de loi omnibus de nature budgétaire), car l’intention consiste à diriger tout le jeu en ligne de la province vers Espacejeux, le site de jeu en ligne de Loto-Québec.
Il s’agit clairement de censure d’Internet pour le profit, un dangereux précédent en matière de censure du Web au Canada. Le gouvernement provincial devient juge et partie dans ce que les gens peuvent faire en ligne, sans aucune consultation que ce soit auprès des personnes qui l’ont élu pour gouverner.
Comme le signale M. Geist :
... cette loi québécoise entraîne le Canada sur une pente glissante et si elle entre en vigueur, il devient plus facile de concevoir que des gouvernements peuvent exiger le blocage de sites soupçonnés d’infraction aux lois sur les droits d’auteur, ou encore des sites de commerce électronique qui ne sont pas bilingues ou qui ne versent aucune taxe à la province.
En somme, il semble que ce projet de loi soit voué à de chaudes luttes et que même le gouvernent fédéral mentionne qu’une telle loi enfreint les règles canadiennes de neutralité d’Internet, sans oublier que le domaine des télécommunications est une responsabilité exclusive du gouvernement fédéral.
Que pouvons-nous faire?
Il est clair que la portée de cette loi indique que le projet de loi 74 nuit à la neutralité d’internet et s’avère gravement problématique d’un point de vue technique et quant à son implantation. On peut même prédire qu’il sera contesté face aux principes de liberté d’expression de la Charte des droits. En deux mots : cette loi est carrément nuisible.
Il existe peu de moyens de la renverser :
1. Devant le CRTC parce qu’elle enfreint le principe de neutralité d’Internet
2. Par une contestation en vertu des dispositions de libre expression de la Charte
3. En faisant pression sur le Parlement et sur le Solliciteur général afin de contester cette loi devant les tribunaux
Il est même probable que nous assistions à une combinaison des mesures mentionnées ci-haut afin que cette loi retourne là d’où elle vient : dans l’oubli. Nous surveillerons de près cette bataille qui se dessine au sujet du projet de loi 74, alors assurez-vous de surveiller les développements à venir et notre appel à l’action.
This article was translated by our community member Gilles Bureau.